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Journée internationale du vol spatial habité

À l’occasion du 60ème anniversaire du 1er vol spatial habité, Dominique Fontaine, astrophysicienne, Directrice de recherche au CNRS, Directrice du Laboratoire de physique des plasmas (LPP) et Responsable de l’Ecole Universitaire de Recherche PLASMAScience, nous apporte son éclairage sur le rôle de la physique des plasmas dans l’exploration de l’univers.

Une interview réalisée par Tatiana Juresic.

Le 12 avril a été déclaré par l’ONU : Journée internationale du vol spatial habité

Célébrer chaque année au niveau international l’entrée de l’humanité dans l’ère spatiale et réaffirmer le rôle essentiel des sciences et des techniques spatiales dans la réalisation des objectifs du développement durable et l’amélioration du bien-être des États et des peuples.

Image Dominique Fontaine, LPP

L'interview de Dominique Fontaine

Dominique, depuis le 1er vol de l’homme dans l’espace de nombreux accomplissements et de multiples découvertes ont été faits dans le domaine spatial. Vous êtes experte en plasma spatiaux, pourriez-vous nous expliquer le lien entre les sciences des plasmas et l'exploration de l'espace ?

L’étude des plasmas, ces gaz ionisés, considérés en physique comme 4ème état de la matière, est incontournable dans l’exploration de l’espace car notre univers visible est constitué à 99% de plasmas. Quand on s’éloigne de la Terre, dans l’altitude, la densité d’atmosphère diminue et au bout d’un moment on rentre dans l’ionosphère, composée des particules ionisées. L’ionosphère est donc le premier plasma qu’on rencontre dans les hautes couches de l’atmosphère terrestre. Le Soleil est aussi un gigantesque plasma. Ensuite, si nous prenons notre Système solaire, à part les planètes et leurs éventuelles atmosphères, tout ce qui est dans l’espace interplanétaire est du plasma.

Comment est-il possible d’étudier des phénomènes si lointains qui se passent dans l’espace, à des milliers, voire des millions de kilomètres ?

Dans notre Système solaire, pour explorer les plasmas dans l’environnement des planètes, du Soleil et dans l’espace interplanétaire, nous utilisons des satellites qui collectent les données in situ (dans leur milieu naturel). On les équipe avec des détecteurs de rayonnement, des analyseurs des particules, des capteurs de champs électriques et magnétiques.

En revanche, pour sortir du Système solaire, il faut être très patient, car il faut compter 40 ans pour en sortir avec les technologies actuelles de propulsion. Il n’y a que deux sondes, Voyager 1 et Voyager 2, parties en 1977 et 1978, qui ont franchi les frontières de notre Système solaire, mais leurs signaux deviennent de plus en plus faibles à cause de la distance. Nous allons les perdre, mais les Voyageurs continueront leur vie ad vitam aeternam.

Pour explorer l’espace plus lointain, nous utilisons des moyens indirects, c’est-à-dire nous n’analysons pas les plasmas in situ, mais les lumières à différentes longueurs d’onde, émises par divers objets ou lors d’un événement (collision des particules etc.). Nous mesurons un rayonnement observable sur Terre, et à partir de là, nous essayons d’imaginer son origine, les constituants, les mécanismes. Ces lumières sont collectées soit par les télescopes au sol, soit par des télescopes en orbite.

De plus, les scientifiques font des simulations numériques qui permettent d’imaginer des phénomènes qui se passent dans l’univers. D’autres font des expériences au laboratoire qui tentent de reproduire approximativement les conditions dans l’espace. Mais tous construisent des modèles qui doivent correspondre aux observations in situ.

Est-ce que l’intelligence artificielle intervient dans votre domaine ?

L’astrophysique, comme beaucoup d’autres disciplines, est dans l’ère du big-data. Notre activité n’échappe pas à l’intelligence artificielle qui est devenue aujourd’hui omniprésente. Nos premiers satellites n’avaient pas d’instrument très sophistiqués à bord, comme par exemple des calculateurs très rapides, et ne pouvaient pas transmettre beaucoup d’informations. Maintenant ils peuvent envoyer un volume colossal de données, le traitement se fait en partie à bord, les données qu’on reçoit sont très détaillées et de très bonne qualité.

Depuis environ une vingtaine d’années, nous avons une masse de données, stockées dans d’énormes centres de données, sur les plasmas du Soleil, de la Terre et du milieu interplanétaire. L’intelligence artificielle nous permet d’extraire et d’interpréter les données dont nous avons besoin. Pour élaborer des algorithmes les astrophysiciens travaillent main dans la main avec les mathématiciens qui connaissent ces méthodes. Et le volume de données va sans doute encore croitre dans l’avenir !

En effet, le progrès dans le domaine spatial est spectaculaire, si on compare avec les années 1960.

Je trouve que cette période était impressionnante. La rivalité entre l’URSS et les USA dans le contexte de la guerre froide a généré une motivation très puissante.

C’est absolument incroyable comment les soviétiques ont réussi à mettre le premier homme dans l’espace et comment les américains sont parvenus à envoyer des hommes sur la Lune. Ces missions ont été préparées en si peu de temps ! On n’était pas complètement sûrs que les astronautes reviennent de leurs missions. Je ne sais pas si de nos jours nous serions capables de montrer autant d’audace.

Par ailleurs, à cette époque, on ne savait pas encore que les tempêtes solaires existent et qu’il pouvait y avoir des radiations très nocives dans l’espace interplanétaire. Par miracle il n’y a pas eu de tempête solaire quand les hommes ont marché sur la Lune, sinon ils auraient pu être irradiés et l’équipement du vaisseau aurait probablement été touché. Quelle chance !

A noter que la confrontation entre l’Union Soviétique et les Etats-Unis a fortement contribué au développement des programmes spatiaux. Par exemple, la NASA (National Aeronautics and Space Administration) a été créée à cette époque, en 1958, pour gérer les projets de l’astronautique, jusque là pris en charge par US Air Forces, pour rattraper les soviétiques qui avaient pris de l’avance dans le domaine spatial.

Après la chute du mur de Berlin, la situation a changé. La conquête de l’espace représente encore des enjeux très importants (scientifiques, techniques, économiques et politiques) mais c’est beaucoup plus collaboratif.

Effectivement, on voit qu’aujourd’hui les chercheurs du monde entier collaborent, se rencontrent à des conférences internationales, présentent leurs résultats… Ce n’était pas la monnaie courante pendant de la guerre froide.

Tout à fait, il y a une forte coopération internationale et tout est organisé à l’échelle mondiale. Plusieurs pays possèdent des agences spatiales, par exemple le CNES en France, l’ESA en Europe, la NASA aux USA, ROSCOSMOS en Russie, la JAXA au Japon, la CNSA en Chine, l’ISRO en Inde etc.

Quand le coût est très important, les agences spatiales coopèrent. Ainsi, l’ESA et la JAXA se sont réunies il y a deux ans pour lancer la sonde BepiColombo vers Mercure.

Notez que dans le domaine spatial on se préoccupe de la stratégie longtemps à l’avance, par exemple, aujourd’hui nous sommes encore dans le programme « Cosmic Vision 2015-2025 » de l’ESA, mais on travaille déjà sur la stratégie du programme suivant « Voyage 2050 ».

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A quelles missions participe actuellement votre Laboratoire de physique des plasmas ?

Nous participons, par exemple, à la mission BepiColombo que je viens d’évoquer. C’est une sonde envoyée en 2018 pour aller observer la planète Mercure, la plus proche du Soleil. Elle arrivera sur place en 2025. Le LPP a la responsabilité de 2 instruments.

La sonde est contrôlée par les équipes des agences spatiales européenne et japonaise, l’ESA et la JAXA. L’équipe du LPP recevra les données de ses instruments. Cette mission a des défis techniques à relever. Pour pouvoir se placer en orbite autour de Mercure le satellite suit une trajectoire très complexe et utilise l’assistance gravitationnelle de la Terre, Venus et Mercure. Par ailleurs, la sonde sera exposée à des températures entre – 190°C et +420°C.

Cette sonde, combien de temps restera-t-elle en orbite autour de Mercure ?

Deux ans, et si tout fonctionne bien, nous demanderons une prolongation.

Actuellement, nous participons aussi à la mission de l’ESA Solar Orbiter :  le satellite d’exploration du Soleil lancé en 2020. En 2023-2024 il sera tout près du Soleil, à une distance de 42 millions de km, plus près que l’orbite de Mercure ! Les imageurs pourront nous aider à faire le lien entre les événements à la surface du Soleil (éruptions, éjection de masse etc.) et leur propagation dans l’espace dont les caractéristiques sont mesurées in situ par la sonde.

Enfin, nous venons de finir un magnétomètre qui partira vers Jupiter en 2022, avec la mission JUICE de l’ESA. La sonde arrivera à destination en 2030 et nous pourrons faire des observations jusqu’à 2033.

Le Laboratoire de physique des plasmas travaille donc beaucoup sur les instruments pour les missions ?

Oui, ici au LPP, nous avons une expérience, un véritable savoir-faire dans la fabrication d’instruments pour mesurer les ondes et les particules. Pour proposer un nouvel instrument nous nous basons sur ceux que nous avons déjà créés, lancés. Cependant, ce sont toujours des modèles uniques, car nous devons les adapter aux différents milieux. Par exemple, le milieu de Mercure est très différent de celui de Jupiter (particules, fréquences etc.).

Combien de temps faut-il pour créer un instrument scientifique ?

Il faut une dizaine d’années pour concevoir la mission, faire le design de l’instrument, puis un prototype, et enfin l’instrument de vol. Cela nécessite beaucoup de tests. Il faut voir si les instruments résistent bien aux vibrations et aux chocs, car ils sont fortement secoués lors de lancement. On effectue également des tests thermiques, en plaçant les instruments dans des étuves sous vide et en observant leur fonctionnement à des températures extrêmes, très froides et très chaudes. On teste aussi la résistance des instruments aux radiations car certains milieux, par exemple celui de Jupiter et autour du Soleil, sont très radiatifs. Ces tests sont effectués sur des plateformes d’essais réservées aux scientifiques.

Comment définit-on la durée de la mission ?

Nous devons estimer la durée des instruments dans l’espace. Ils ont des parties plus sensibles que les autres, notamment aux radiations. Cependant il arrive que les instruments fonctionnent plus que la durée prévue. Ainsi j’ai travaillé sur la mission CLUSTER de l’ESA, lancée en 2000, dont le but était d’explorer l’environnement magnétique de la Terre. La durée de vie nominale était de 2 ans. Cependant elle est toujours en l’air, cela fait plus de 20 ans ! Les instruments marchent. On a, à chaque fois, demandé l’extension de financement pour pouvoir continuer la mission et pour pouvoir continuer à enregistrer des données.

Le suivi d’un satellite dans l’espace demande aussi la constitution d’équipes au sol. Il faut des ingénieurs pour envoyer des instructions aux instruments (télécommandes) pour déclencher les différents « modes » de fonctionnement et pour recevoir les paquets de données (télémesures) en provenance de ces instruments. Puis, il faut aussi des équipes pour traiter ces données.

Vous travaillez dans ce domaine depuis longtemps, est-ce que vous avez constaté une fluctuation de l’intérêt envers l’astrophysique au fil des années ? Est-ce que les jeunes continuent à s'intéresser à l'astrophysique, la physique des plasmas ?

Certainement, depuis le premier vol de l’homme dans l’espace beaucoup de choses ont changé. Avant les enfants voulaient tous devenir astronautes, aujourd’hui c’est moins le cas. Je dirais que l’accès à l’espace s’est banalisé depuis. Ce n’est plus extraordinaire de lancer une fusée, ce n’est plus étonnant d’envoyer un satellite dans l’espace…

En revanche, je constate que l’intérêt pour l’astrophysique n’a pas diminué, l’espace et l’univers sont toujours des centres d’intérêt pour les jeunes. Les jeunes d’aujourd’hui sont très sensibles aux problèmes liés à la protection de la planète, au traitement des déchets, à l’écologie, à une meilleure compréhension du vivant. Par exemple, ils sont très intéressés par des nouveaux défis dans l’espace : la gestion des débris spatiaux.

Il y a actuellement plus de 130 millions de débris qui tournent autour de la Terre. Ils peuvent être minuscules, moins d’un millimètre, mais également aussi volumineux qu’un bus. Le public n’a rien à craindre, les débris se trouvent à plusieurs centaines ou milliers de kilomètres de notre planète et bruleront dans l’atmosphère avant d’arriver sur Terre. Par contre, ces objets volants, compte tenu leur quantité et leur grande vitesse, deviennent très dangereux pour les nouveaux satellites, qui risquent d’être endommagés s’il y a des collisions. C’est une vraie préoccupation ! Il faut réfléchir à comment faire pour nettoyer et comment éviter de polluer. Et les jeunes ont raison de s’en préoccuper dès maintenant !