Interview avec Serena Bastiani, Professeure à l’Ecole polytechnique.
Entretien avec Serena Bastiani, chercheuse au Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses et Professeure à l’Ecole polytechnique.
L'interview
Serena, vous êtes chercheuse au Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses (LULI) et Professeur à l’Ecole polytechnique. Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai obtenu un diplôme équivalent à l’actuel M2 à l’Université de Pise, en Italie. Pendant mon M2, j’ai fait un stage dans un laboratoire italien qui avait une collaboration très étroite avec le Laboratoire pour l’utilisation de lasers intenses. J’ai eu la chance de travailler avec un chercheur du LULI qui m’a parlé d’une possibilité de bourse de la Communauté Européenne permettant de faire un doctorat en France. J’ai postulé à cette bourse et j’ai pu faire ma thèse au LULI. C’est ainsi que je suis venue en France. Puis, post-doc, j’ai travaillé dans d’autres laboratoires en France et au Royaume-Uni. Ensuite, j’ai été recrutée comme Maître de conférences à l’Ecole polytechnique, où j’occupe aujourd’hui un poste de Professeur.
Sur quoi portent vos travaux ?
Je m’intéresse aux propriétés radiatives des plasmas chauds, c’est-à-dire des plasmas de haute température, comme ceux créés par l’impact d’une impulsion laser sur une cible. J’étudie leurs propriétés d’émission et d’absorption de la radiation (majoritairement dans le domaine X et XUV).
C’est un champ de recherche très important pour tous les domaines où les plasmas chauds interviennent, en particulier en astrophysique et dans les plasmas de fusion. En effet, dans ces milieux, le rayonnement et les paramètres hydrodynamiques sont interdépendants et il faut savoir traiter correctement ce couplage pour pouvoir prédire le comportement de ces plasmas avec une bonne précision.
Pourriez-vous nous en donner un exemple ?
Un exemple très parlant est notre Soleil, qui est un plasma. Il n’est pas encore complètement compris et sa modélisation pose des problèmes : les astrophysiciens pensent qu’une des difficultés vient d’une mauvaise connaissance de l’opacité du fer, qui, bien que minoritaire dans la composition du Soleil, détermine néanmoins les propriétés de transport de la chaleur du cœur vers la surface.
Mon activité est centrée sur la mise en œuvre d’expériences dans lesquelles on cherche à mesurer de façon indépendante les paramètres hydrodynamiques et les propriétés spectroscopiques des plasmas. Cela permet de limiter le nombre de paramètres libres dans les simulations, et donc d’en affiner la fiabilité. Par exemple, dernièrement, nous avons développé, en étroite collaboration avec le CEA/DAM, une plateforme sur l’installation LULI2000 dédiée aux mesures d’opacité. Elle sera utilisée prochainement pour collecter de nouvelles données expérimentales qui nous aideront à répondre aux différents problèmes encore ouverts.
A quel moment et pourquoi vous vous êtes intéressée à la physique des plasmas ?
C’est pendant mes études à l’Université de Pise que j’ai découvert les plasmas. Comme il arrive souvent, j’avais un professeur passionné par ce domaine qui a réussi à éveiller ma curiosité. J’ai donc trouvé un stage M2 sur la physique des plasmas chauds, qui a confirmé mon intérêt. J’ai découvert un domaine riche, absolument passionnant, qui fait appel à beaucoup d’autres domaines de la physique (électromagnétisme, mécanique des fluides, physique statistique, physique atomique, moléculaire, nucléaire …), ce qui le rend, à mes yeux, unique en son genre. Ses nombreuses retombées contribuent également à son charme. C’est pour cela, que j’ai décidé d’en faire mon domaine de prédilection.
Vous avez donc décidé de faire votre carrière dans la science. Aujourd’hui on parle beaucoup de donner une place plus importante aux femmes dans la recherche scientifique. Cependant les femmes restent encore sous-représentées en physique. Avez-vous constaté des évolutions au cours de votre carrière ?
J’ai la chance de travailler dans un laboratoire qui a une parité, un équilibre presque parfait entre femmes et hommes au niveau du personnel dans sa totalité. Les femmes sont présentes dans tous les métiers, même techniques, ce qui est une chose remarquable. Concernant les physiciennes, nous sommes environ 40% des chercheurs permanents du LULI : c’est beaucoup par rapport aux autres laboratoires, mais c’est plutôt l’exception que la règle.
En tant qu’enseignante, je vois quelques petits progrès, je constate que le nombre des filles dans mes cours augmente légèrement. C’est encourageant, mais encore insuffisant, elles restent quand même très minoritaires.
Comment peut-on faire pour inciter les jeunes filles à s’orienter vers la physique ?
Les clichés sont tenaces. Il faut certainement renforcer la communication et rapprocher les jeunes filles des métiers scientifiques dès le collège, car tout se joue très tôt dans la scolarité. Il faut persévérer, donner le goût aux jeunes filles de faire de la physique, car la recherche a besoin de regards croisés, complémentaires.
Aujourd’hui en plus de la recherche et de l’enseignement, vous êtes responsable du Master 2 Grands Instruments - Plasmas, Lasers, Accélérateurs, Tokamaks (GI-PLATO) de l’IP Paris.
Tout à fait, la responsabilité du programme Master 2 GI-PLATO fait partie intégrante de mes activités d’enseignement. C’est extrêmement intéressant, car cela me permet de considérer le Master dans sa globalité, de contribuer à son évolution, au développement des synergies avec d’autres M2 en France, aussi bien qu’avec des formations à l’étranger. C’est une responsabilité importante mais gratifiante. En plus, c’est un programme d’enseignement unique en France.
En quoi ce Master est-il unique ? Quels sont ses atouts ?
Le M2 GI-PLATO est un programme pluridisciplinaire qui offre aux étudiants une triple compétence en physique des tokamaks, des accélérateurs et des lasers, couplée à une solide formation en physique des plasmas associés à ces instruments. Au deuxième semestre, les étudiants vont ensuite se spécialiser dans l’une des thématiques, en suivant des cours qui combinent modélisation, aspects expérimentaux et instrumentation. Une autre particularité de ce M2 est le séjour des étudiants sur des sites hébergeant de grandes installations de recherche de niveau international : Cadarache pour les tokamaks, Bordeaux pour les lasers et plasmas-laser, et Genève pour les accélérateurs. Ce séjour de plusieurs semaines est toujours très apprécié par les étudiants car il combine des cours, des TD, des TP et des visites d’installations. Pour une majorité d’élèves c’est la première découverte d’une grande installation et de ses activités scientifiques.
Enfin, c’est un programme international. Et nous aurons davantage d’internationaux à la rentrée 2022/2023, car le Master accueillera les étudiants du consortium Erasmus Mundus Lascala (Large Scale Accelerators and Lasers) porté par quatre universités européennes : Université La Sapienza (Italie), Université de Szeged (Hongrie), Université de Lund (Suède) et Université Paris-Saclay (France). Cela sera une réelle ouverture à l’international !
Quels sont les débouchés de cette formation ?
Presque 75% d’étudiants de ce M2 continuent en doctorat. Les autres sont généralement embauchés comme ingénieurs dans le public ou le privé, en France, en Europe et même hors EU (majoritairement aux USA).
Serena, vous êtes également membre du Comité de pilotage de l’Ecole Universitaire de recherche (EUR) PLASMAScience, portée par 7 laboratoires et équipes plasmas de l’IP Paris. Qu’est-ce que ce projet pourra apporter aux étudiants et à l’IP Paris ?
Je pense que l’EUR a un rôle très important à jouer sur deux fronts. D’une part, l’EUR contribue à l’enrichissement de l’enseignement de la physique des plasmas à l’IP Paris, grâce au financement de TP innovants, expérimentaux et numériques, à la mise en place de contrats des chargés temporaires d’enseignement recherche (CTER), etc. D’autre part, l’EUR, à travers des bourses d’excellence, des demi-bourses de thèse et d’autres aides aux étudiants, a déjà commencé et va continuer à attirer des jeunes brillants et talentueux dans les laboratoires de l’IP Paris pour former une nouvelle génération des chercheurs.
Interview par Tatiana Juresic.